De la lumière en cinéma et audiovisuel

Approche générale

Dans notre imaginaire collectif, la lumière est l'élément le plus fondamentalement lié à la vie. Apportée par le soleil, la lumière est ce qui dans l'histoire a organisé toute l'activité de l'homme : heures, jours, saisons, mais aussi agriculture, habitat... La lumière c'est fondamentalement la vie. D'ailleurs ne dit-on pas, pour parler de la naissance, "voir le jour".

Inversement l'absence de lumière, la non-lumière, c'est-à-dire le noir, est liée à la mort. Depuis la "nuit des temps" (le néant), chaque aube est pour l'homme la certitude d'avoir vu un jour de plus et chaque crépuscule l'angoisse de ne pas retrouver un lendemain.

Dans sa signification primitive, l'opposition lumière/non-lumière recouvre la dialectique vie/mort et c'est dans antagonisme fondamental que se trouve principalement la symbolique du "noir et blanc" et du "clair obscur".

Eclairer

« "Eclairer", en photographie, au cinéma, à la télévision ou au théâtre, c'est donner physiquement à voir, "illuminer" ou, mieux, "luminer" ; c'est donner à penser, à méditer, à réfléchir ; c'est aussi émouvoir. » Ainsi commence l'introduction d'Henri Alekan dans son ouvrage sur la lumière. (1)

Voir et émouvoir, telles seraient donc les deux fonctions de la lumière.

La première est physique ; il ne peut exister d'image sans lumière et toute image n'est qu'une caractéristique particulière que les objets ont de réfléchir la lumière qu'ils reçoivent.

La seconde est mentale ; toute image perçue laisse des traces plus ou moins profondes dans notre cerveau et ce sont ces multiples fragments de notre mémoire qui sont sollicités pour interpréter le présent. La perception visuelle la plus élémentaire met en jeu des ensembles gigantesques de neurones et notre activité perceptive consiste pour l'essentiel en une construction interne où le rôle du sujet est dominant. (2)

Voir et émouvoir, c'est entre ces deux aspects que se joue le travail d'interprétation et donc de construction de la lumière en audiovisuel.

« Deux sortes d'images sont visualisées par le cerveau : l'une objective, est celle qui est enregistrée dans la lumière du temps présent, l'autre subjective, est celle qui a été mise en mémoire dans la lumière du temps passé. Le cinéaste est un transcripteur d'images objectives quand il utilise la lumière naturelle dans le présent sans la transposer, et un créateur d'images subjectives lorsqu'il réinvente l'"objet" et le transcende dans la lumière de sa mémoire, grâce à la maîtrise artistique des lumières artificielles qui accomplissent cette transmutation. » (3)

(1) ALEKAN Henri, Des lumières et des ombres, Paris, Le Sycomore, 1984.

(2) Rappelons que, lors de la perception d'une image, les informations neuronales qui parviennent au cortex visuel proviennent à 20% de la rétine et à 80% des autres centres cérébraux.
VARELA Francisco, Connaître les sciences cognitives, Seuil, 1989.

(3) ALEKAN Henri, ib.

Lumière naturelle vs lumière artificielle

Extérieur, intérieur

En éclairage naturel (solaire) la direction de l'éclairage est liée à l'heure, à la saison, aux conditions météorologiques, à la situation... du lieu considéré. Notre culture visuelle en la matière est très grande et tout éclairage "naturel" nous apporte des informations sur ces aspects. Ceci implique que dans une prise de vue en extérieur, même si le réalisateur adapte ou transforme l'éclairage naturel, le spectateur en référera toujours à son expérience "naturelle" de la lumière solaire (temps couvert -> ombres douces ; soleil intense -> ombres dures ; ombres courtes -> soleil au zénith ; etc.).

En l'absence de référence notre perception visuelle se rapporte toujours à l'éclairage naturel solaire. Ainsi dans les deux dessins ci-dessous, les formes paraissent en relief ou en creux alors que nous avons affaire à la même image l'une étant en rotation de 180 degrés par rapport à l'autre. La lumière naturelle est sensée provenir d'en haut, ce qui induit notre perception du relief.

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L'éclairage artificiel peut donner l'illusion de l'éclairage naturel, il peut aussi construire ses propres références. Ce qui différencie fondamentalement l'éclairage artificiel c'est qu'il n'existe qu'à partir d'objets lumineux construits et disposés par les hommes. Il fait ainsi implicitement référence à des choix humains, en opposition à l'éclairage naturel qui en réfère toujours à la nature.

Le tournage en extérieur est, pour les directeurs de la photo, souvent vécu comme une grande difficulté dans la mesure où il faut soit composer avec le temps, soit intervenir sur cet éclairage naturel au moyen de puissants projecteurs. La situation de studio représente toujours une solution plus facile du seul point de vue de l'éclairage de scènes de fiction et le choix du réalisateur, entre intérieur et extérieur, résulte d'un compromis à trouver entre lumière et décors.

Pour le film factuel, cette alternative existe également, mais elle se pose en termes différents. Le choix extérieur / intérieur est fortement tributaire du sujet et rares sont les situations où l'éclairage apparaît comme un possible choix préalable vis à vis du lieu. Le plus souvent, le documentariste composera à partir de la lumière existante dans un lieu donné.

eclairage extérieur
Mis en place d'un éclairage extérieur pour le tournage d'une fiction cinématographique.

Série de 8 photos
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Temps, espace et lumière

En extérieur, l'intensité de la lumière et sa directivité (voir plus loin) recouvrent en partie un autre aspect de la lumière qui est la référence qu'elle construit avec le temps. Une lumière diffuse est difficilement situable dans le temps. C'est une lumière intemporelle. En revanche, une lumière directionnelle apporte, en plus des informations relatives à l'espace, des indications relatives au temps. C'est une lumière temporelle qui nous renseigne sur l'heure, la saison...

L'éclairage qui opère dans l'espace représenté (le champ) nous renseigne aussi sur l'espace non-représenté (le hors-champ).

En extérieur il est difficile d'imaginer un éclairage, même s'il est fictif, qui ne soit pas vraisemblable, c'est à dire conforme à l'idée que l'on se fait du lieu construit par le champ et le hors-champ. L'expérience que le spectateur a de l'éclairage "naturel" est difficilement contournable. Un éclairage vertical intense, par exemple, sous-entend un jour d'été en milieu de journée.

En intérieur il en va différemment, dans la mesure où la vraisemblance avec le "naturel" ne se justifie plus. Les possibilités de construction d'un espace imaginaire suggéré par le hors-champ et construit par l'éclairage sont alors bien plus grandes.

L'éclairage de base en audiovisuel

Le système d'éclairage qui se met en place au cinéma dans les années vingt se fonde sur l'artifice de la source unique.

Ainsi l'éclairage dominant qui construit la vraisemblance doit être apparent tandis que les éclairages secondaires qui permettent de gommer les ombres, modeler le relief, complémenter un éclairage... doivent être invisibles. Tout l'art des chefs opérateurs consiste alors davantage à masquer les ombres "irréelles" des indispensables sources secondaires.

Avec la “nouvelle vague“ et l'usage de caméras de plus en plus portables, cette esthétique de la lumière construite sera fortement remise en question.

Dans les pratiques vidéographique, télévisuelle ou cinématographique les plus courantes, le schéma de base de l'éclairage est généralement composé à partir de trois sources de lumière : la source principale ; l'éclairage de contre-jour, pour détacher le fond et suggérer le relief ; l'éclairage d'ambiance pour équilibrer.

Bien entendu, d'infinies combinaisons sont possibles, et si, selon l'expression des directeurs de la photo, "faire une image" c'est d'abord organiser la lumière, la construction d'un éclairage est alors un moyen expressif de premier ordre.

Les possibilités technologiques des caméras vidéo d'aujourd'hui ainsi que la réduction des équipes de tournage conduisent de plus en plus fréquemment les réalisateurs à faire avec la lumière qu'ils rencontrent sur les lieux de tournage.

Intensité de la lumière (ou luminance)

La hiérarchisation de la lumière dans l'image est expressive. Elle est une des marques du choix que le réalisateur effectue sur les relations entre les différents éléments qui composent l'image, ce qui est le propre de tout travail photographique, cinématographique, vidéographique...

La hiérarchisation des niveaux de luminance à l'intérieur de l'image conduit à hiérarchiser les personnages, les objets, les lieux... Ce sont des choix impliquants dans la mesure où ils contribuent à construire et modifier la nature et l'importance du hors-champ.

A l'inverse, l'isoluminance, si fréquente sur les plateaux de télévision ou dans les soap-operas, qui répond pour l'essentiel à des impératifs économiques, conduit à la non-différenciation des valeurs. Produisant des images "soft" elle est symbolique d'une certaine idéologie de la transparence dans la représentation du réel, sans valeurs, sans surprises, sans mystères.

Un modèle d’analyse

Si nous appelons A le niveau de luminance relatif au sujet principal de l'image et B le niveau de luminance relatif au fond (ou sujet secondaire), les différents types de composition lumineuse structurant une image résulteront des combinaisons entre les intensités respectives des taches A et B.

A partir des niveaux relatifs de luminance entre le sujet principal et le sujet secondaire, nous pouvons représenter les types de combinaisons obtenus par la schématisation ci-dessous.

Les catégories définies ici, ne le sont qu'à des fins d'analyse. Nous avons choisi 5 niveaux de luminance, nous aurions pu en choisir 3 ou 10, il existe en fait une infinité de niveaux. Il s'agit, là encore, d'une schématisation qui a pour objectif de positionner les cas de figure rencontrés.

A partir de cette représentation nous pouvons alors repérer des zones particulières

 

Directivité de la lumière

La directivité de la lumière s'apprécie à l'intensité des ombres ou aux contrastes de lumière qui peuvent apparaître sur un même sujet (à la différence de précédemment où les niveaux de contrastes s'appliquaient entre les différents sujets de l'image).

La directivité de la lumière recouvre deux aspects que nous pouvons distinguer :

• Le premier est sur la direction proprement dite :
C'est à dire le lieu d'où provient la lumière, en distinguant : d'une part, une direction vraisemblable, c'est-à-dire qui correspond à l'idée que l'on se fait du réel représenté ou qui est en adéquation avec d'autres éléments de l'image ou des images précédemment vues et, d'autre part, une direction arbitraire, c'est-à-dire qui ne se justifie pas a priori par le réel représenté dans l'image.

Une direction de lumière réaliste s'attache à supprimer tout écart entre la réalité et le représenté. Une direction de lumière arbitraire rompt toute référence réaliste sur sa provenance. En incluant de l'arbitraire dans le champ représenté, elle force ainsi l'imaginaire par les hors-champs qui sont à imaginer.

• Le second aspect porte sur la directionnalité
La directionnalité de la lumière se traduit par le degré d'intensité des ombres construites par l'éclairage (ou le contraste sur un même sujet).

L’échelle d’intensité s’étend de l’absence totale d'ombre à des ombres très "dures" en passant par toutes les nuances intermédiaires.

Une lumière multirectionnelle (diffuse) produit des ombres légères, une lumière unidirectionnelle (modélisante) produit des ombres dures. Entre les deux, la gradualité de l'ombre correspond au degré de directionnalité de la lumière.

Lumière modélisante vs lumière diffuse

Selon les termes d'Henri Alekan, nous appellerons lumière modélisante une lumière issue d'un éclairage directionnel, et lumière diffuse celle issue d'un éclairage multidirectionnel. Ces deux types de lumière produisent des effets différents. Toujours selon Alekan :
• «L'éclairage unidirectionnel est une "lumière partisane", qui, en modelant formes et contours, désigne l'"objet", insiste, sépare, tranche, cisèle et souligne l'essentiel des formes, repoussant le secondaire en moindre valeur. C'est une lumière hiérarchisante, classificatrice : une lumière "engagée".

• En revanche l'éclairage diffus, par la multiplicité des flux, qui enrobent l'"objet" de toutes parts, a un rôle objectivement et subjectivement dispersif ; il "noie" le principal en le mêlant au secondaire. La lumière ne souligne plus, elle amalgame, elle estompe, elle dissocie. C'est une lumière troublante, une lumière annihilante.

Ces deux types d'éclairages opposés dans leur structure physique aboutissent artistiquement à deux significations différentes se répercutant puissamment sur les sentiments. » (*)

Une lumière modélisante construit le drame, l'opposition, l'incertain.

Une lumière diffuse tout au contraire est une lumière dédramatisante, c'est-à-dire qui a supprimé tout contraste, toute opposition. Le réel est visible partout, sans danger, puisque l'ombre (et le noir) est le lieu du doute, de l'inquiétude et du mystère.

L'éclairage modélisant en hiérarchisant les valeurs, guide le cheminement du regard du spectateur entre les clairs et les obscurs. En même temps le "modelé" qu'il construit repose sur un certain réalisme de la nature, une pseudo-objectivité du relief.

L'éclairage diffus disperse le regard par l'uniformisation des valeurs. En même temps l'"aplat" qu'il construit tend à synthétiser la nature en ramenant à deux dimensions les formes perçues en trois dimensions.

Ce que la directionnalité de la lumière construit surtout c'est le relief de l'espace représenté. En l'absence d'éléments visuels géométriques permettant de définir une perspective, c'est la direction de la lumière qui crée ou non un point de fuite. Une lumière multidirectionnelle supprime tout point de fuite et construit par conséquence un aplat, tandis qu'une lumière directionnelle en instaurant un point de fuite construit par conséquence un point de vue.

(*) ALEKAN Henri, ib.









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